Blog en friche. Blog à défricher.
Il y a maintenant quelques mois que je n'ai pas œuvrer en ces lieux pour vous
parler lecture. Qu'à cela ne tienne, vacances terminées pour moi, voici les
livres qui m'ont accompagnés pendant cette période. Et cela commence par un
choc, un coup de poing, comme on veut. "Claustria " de Régis Jauffret
(Editions du Seuil) n'a pourtant rien d'un livre de vacances...S'appuyant sur
l'histoire vraie de Josef Fritzl, tortionnaire et violeur de sa propre fille
enfermée dans la cave familiale dans une petite ville d'Autriche pendant... 24
années, Jauffret prévient d'entrée "ce livre n'est autre qu'un roman,
fruit de la création de son auteur". On plonge dans l'horreur où se
mélangent claustrophobie, la "vie" au jour le jour, viol,
humiliation, "petits bonheurs", naissances... Le lecteur, tour à
tour, étouffe, se fascine, se perd, dégueule, tente de comprendre les ressorts
de cette vie pour (presque) rien pendant que l'auteur trace la route de son
texte froid qui nous prend par la main pour nous emmener avec lui dans cette
cave humide, glaciale et brûlante au gré des saisons. Déjà aux prises avec un
fait divers avec son livre "Sévère" (Editions du Seuil),
Régis Jauffret signe là un roman immersif époustouflant.
Pour se remettre de ce voyage
dans l'horreur "humaine", Sébastien Gendron et son "Quelque
chose pour le week-end" (Editions Baleine) a les atouts pour se replonger
dans la légèreté du polar un peu branque. Située dans une petite ville anglaise
du bord de mer, l'action mélange drogue, pingouins envahisseurs, chantage et
petits meurtres entre gens de (très) bonne compagnie avec un ton et un humour
qui n'est pas sans rappeler l'univers cinématographique des frères Ethan et
Joel Coen. Il y a là matière à franchement rigoler avec un roman iconoclaste
d'un auteur dont je suis fan depuis "Le Tri sélectif des ordures"" en
2008 ou encore "Taxi, take off & landing" en 2010.
Et une bonne poilade par les temps qui courent...
Ces temps qui passent alors que
l'oubli est impossible. Après nous avoir fait "visiter" l'Afrique du
Sud avec "Zulu" et la Nouvelle-Zélande avec "Haka",
l'auteur a déposé cette fois son sac en Argentine avec "Mapuche"
(Série Noire Gallimard). S'imprégnant de l'histoire contemporaine du pays,
Caryl Férey livre un thriller extrêmement bien documenté mettant en scène un
avocat des causes perdues enquêtant avec une jeune artiste sculptrice
sur l'assassinat d'un travesti. On plonge alors dans la patrie de Maradona où
se mêlent les souvenirs et les conséquences de la dictature militaires des
années 70, dans les affres politico-friquées d'années de plomb où tortures,
viols et vol de bébés étaient monnaie courante. L'auteur entraîne le lecteur
dans une enquête qui n'est pas seulement celle d'un meurtre, mais la recherche
d'une rédemption de tout un pays traumatisé par son Histoire, cette
indispensable course à la mémoire, à la compréhension et à la justice des
hommes qui ont oublié leur humanité. L'implacable scénario de ce roman
n'échappe pas, parfois, aux clichés amoureux, mais il n'en est pas moins
un témoignage poignant et indispensable d'une dictature qui a laissé en
Argentine des plaies pas encore cicatrisées. Un livre d'Histoire et un thriller
passionnant.
Plus passionnant, en tout cas,
que "Absurdistan" de Gary Shteyngart (Editions Points). Cet auteur
américain né en Russie (Leningrad) nous livre une histoire un peu bordélique
qui voit le fils d'un parrain de la mafia russe installé aux États-Unis coincé
en Russie parce que son père vénéré par toutes les crapules locales a assassiné
un homme d'affaire américain. Sur place, perdu, le fils découvre un pays
exsangue, en pleine révolution, où ses rencontres rivalisent de couardises, de
mensonges et autres trafics aussi bien d'amour, d'armes, que d'espèces
sonnantes et trébuchantes. Le lecteur s'y perd un peu, ne sachant pas très bien
à quoi tout cela rime. Le personnage principal sombre peu à peu, souvent naïf,
dans un pays qu'il ne comprend pas. On s'ennuie un peu de cette débauche
caricaturale de sentiments exacerbés, de ces bras qui moulinent pour
une histoire qui se voudrait iconoclaste et qui n'entraîne le plus souvent que bâillements un peu bruyants.

Enfin, direction la Russie (encore !) avec
Sylvain Tesson pour "Dans les forêts de Sibérie" (Gallimard). L'homme
a décidé pendant six mois de vivre dans une petite bicoque au bord du lac
Baïkal, et rien d'autre. Ou plutôt si, accompagné de bouteilles de vodka
(beaucoup), de cigares et surtout d'une pile de livres, l'auteur narre son
périple au jour le jour, loin de tout, surtout des gens. Cette solitude voulue
est ainsi le prétexte à un retour au source. Celle de l'Homme confronté à une
nature libre et brutale, parfois agressive, souvent belle, qui ne se perd
jamais dans les fioritures. A la recherche de lui-même, Sylvain Tesson raconte
ses journées où se mêlent la dureté du temps qui passe, la lecture, l'alcool, le
pragmatisme de la survie et contemplation des moments beaux. Du fond de son
exil, l'auteur oublie son passé de citadin occidental pour se consacrer aux
tâches ingrates du jour et écrit son journal intime qui n'est plus que son seul
compagnon. Au final, Sylvain Tesson vit sa solitude comme une bouée de
sauvetage. Curieusement, il ne raconte pas tant que cela les mauvais moments,
les galères, les baisses de moral, comme si ce voyage intérieur était une
simple expérience ponctuelle qui trouvera son épilogue avec le retour à la
"civilisation". Étrange sensation que celle du lecteur qui a en
refermant le livre le sentiment d'avoir assisté à un voyage sponsorisé, presque
trois étoiles... Un trois étoiles au normes locales, certes.