mardi 28 octobre 2008

"Le Messager" de Eric Bénier-Bürckel - Editions L'Esprit des Péninsules

Un écrivain à part. Vraiment. Depuis la lecture choc, impensable et indispensable de Pogrom (Flammarion) sorti en 2005, Eric Bénier-Bürckel représente pour moi l’écrivain sans concession, brillant, en marge d’un système, sans le souci de se plier aux envies, aux exigences et aux attentes d’un lectorat pour… faire plaisir, comme bien d’autres… Le suivant, Un peu d’abîme sur vos lèvres (2007), déjà publié par L’Esprit des Péninsules, n’était qu’une longue (longue) pleurnicherie indigeste de l’auteur sur l’accueil très polémique qui avait suivi la sortie de Progrom. Bref, l’arrivée aujourd’hui de son nouveau livre, Le Messager, représentait pour moi le secret espoir d’un retour de l’écrivain à son insensé travail d’écriture méticuleuse.

Et on n’est pas déçu lorsque l’on s’attend ici à de l’ardu. Sans véritable trame lisible, l’auteur s’approprie à la fois les modes du conte et du glauque en mettant en scène un être indistinct, le Mollusque, qui passera les 219 pages du livres à traverser des contrées qui n’existent pas. Emportant avec lui des piles de livres sous chaque bras, la bestiole déambulera dans un univers fictif, entouré d’arbres, de sable, d’ennemis gluants et/ou sales. Mélange de moisi et de pourritures, ce cheminement se pare des atours du voyage initiatique, mêlant pustules, vomi, viols, corps déchiquetés, terreur sourde et oiseaux de malheur. Dans cette écriture totalement maîtrisée, implacable, qui confine à la logorrhée, on étouffe de sentiments poisseux, on glisse résolument sur la pente de l’enfer avec l’indélicatesse d’un doigt d’honneur aux convenances. On oublie les maisons trop bien tenues, l’amour, les sourires, la joie, place à la fureur, à l’infamie et au dégoût de tout. Eric Bénier-Burckel n’a pas son pareil pour déconsidérer le monde avec son écriture exigeante, pour stigmatiser nos laideurs, pour pointer du doigt la fin du monde. A nous lecteurs, de suivre péniblement la route tracée de cette profonde méditation sur la place du livre dans le monde contemporain nous dit l’éditeur sur la quatrième de couverture. Trop péniblement à mon goût.

Un monde à l’envers et ricanant, où flottaient des saletés impossibles à identifier, vivait dans les eaux noires de la mare, qui sentait l’ammoniac et la charogne, et penché en avant dans une attitude tenant autant de la force de l’inertie que de l’équilibre instable, l’air d’un épouvantail autour duquel les intempéries ont désagrégé la terre qui l’avait maintenu droit et intangible et qui à présent vacille dans un poudroiement de lumière glauque à la merci du premier souffle vagabond qui consommera sa ruine, il regarda longuement ce spectre de monde à la face de cadavre comme on regarde les ultimes convulsions d’un malade agonisant dans les draps moites et fétides de son lit de mort. Vous voyez ce que je veux dire ?