vendredi 18 janvier 2008

"Lunar Park" de Bret Easton Ellis - Editions Robert Laffont

Qui peut mieux que Bret Easton Ellis inventer… Bret Easton Ellis ? C’est le tour de force de ce roman qui se charge, dans le foisonnement, de mettre en scène l’auteur lui-même dans une autofiction. Parce qu’il est devenu un écrivain (très) riche, (très) célèbre, (très) mégalomane, (très) drogué et qu’il n’a peur de rien, n’y de personne, l’ami Bret s’adonne dans cet ouvrage à l’abandon des sens sans réserve en oubliant la réalité du monde, ses affres, ses contingences et quelques babioles afférentes : une famille à (re)construire. En baladant son corps fatigué dans une inexistence faite de soirée in et/ou showbiz, Easton Ellis (le vrai ? le faux ?) perd pied, replié sur lui-même, égocentrique au possible, malmené par les multiples contreverses suscitées par son œuvre, et qui n’a d’autres soucis que ceux de picoler, de renifler de la poudre blanche de qualité en société et de draguer pitoyablement ces quelques nymphettes de l’université où il enseigne également. Constat affligeant d’une errance que Bret (le vrai) met en scène avec un impeccable cynisme et un détachement confinant au génial.

Mais cette fuite en avant ne peut que cesser, parce que l’homme (le faux ?) prend conscience de ses dérapages lorsqu’il observe du coin de l’œil la femme de sa vie, actrice forcément archi célèbre, et ses deux enfants ne plus le considérer que comme une bête sauvage infréquentable, terrorisante. Un individu qui n’est plus dès lors que sous l’influence néfaste d’un grand n’importe quoi. Alors Bret tente de se ressaisir, tente de se racheter une conduite en devenant un banlieusard modèle, pour Elle, pour Eux. Mais le manque et les (mauvaises) habitudes si bien ancrées reviennent au galop. Une schizophrénie latente embourbe l’auteur (le vrai ?) dans une ornière où se mêlent, comme dans un cauchemar, des disparitions d’enfants, la présence inquiétante de Patrick Bateman (héros meurtrier d’un précédent libre, American Psycho), une maison hantée, une peluche carnassière et destructrice, un père-mirage, etc.

Impossible, dès lors, de tenter de renouer le dialogue avec une famille décomposée. Bret (le vrai ?) est à la recherche de l’origine de ses maux, à la recherche de lui-même. Une quête narrée compulsivement, puis au ralenti, comme dans un brouillard, comme un lendemain avec sa gueule de bois. Un voyage initiatique où finalement l’amour filial n’a de cesse de crier son absence. Pudiquement, en 4ème de couverture, Bret Easton Ellis prévient : je ne veux pas avoir à clarifier ce qui est autobiographique et ce qui l’est moins (…) Au lecteur de décider ce qui, dans « Lunar Park », a bien eu lieu. A vous de juger.

mardi 15 janvier 2008

"Le Royaume" de Peter Berg

... avec Jamie Foxx , Jennifer Garner, Chris Cooper, Jason Bateman... - Scénariste : Matthew Michael Carnahan - Sortie France : 31 octobre 2007 - Site : http://www.leroyaume.fr/

Le début : Arabie Saoudite. Aujourd’hui. Maintenant. Tout de suite. Une centaine d’employés d’une firme américaine sont victimes d’un attentat-suicide très (très) bien organisé. Aux Etats-Unis, pendant ce temps-là, une équipe du FBI menée par Ronald Fleury (Jamie Foxx) négocie sa venue dans le pays afin de mener l’enquête pour retrouver le cerveau du carnage. Arrivé sur place, ce petit monde se retrouve confronté à des autorités pas vraiment prêtes à leur filer un coup de main… Enfin, pas tout le monde….

Rarement, j'ai trimballé une telle tension pendant la projection d'un film... Rarement, j'ai autant serré les dents et les poings, à me retrouver éberlué, aussi effrayé par cette sensation que la fiction est une réalité (ou inversement). Au dessus de ce Royaume vole le spectre organique de nos horreurs à venir, une sorte de fin du monde qui n'épargnera pas grand monde. Il y a la haine, la hargne de détruire, d'exploser les sociétés et les hommes comme si tout était à refaire depuis le début. Le tout début. Parce que le "bug" ne date pas d'hier, qu'il est historique et donc ancré au plus profond des âmes, de part et d'autre. Un film qui a l'intelligence de rappeler que tous les coupables du monde sont en scène. Et que le combat n'est pas prêt de se terminer, qu'il se poursuivra jusqu'à ce que mort s'ensuive. Ce film, sous le regard d'une caméra qui scrute, découpe et suit d'infiniment près les regards et les corps, est sans grand espoir et nous renvoie à nos obscures inhumanités. Un choc frontal.

lundi 14 janvier 2008

"Je m'appelle Jeanne Mass" de Thomas Lélu - Editions Léo Scheer

Cartésien s’abstenir. Le roman de Thomas Lélu n’a rien en commun avec ce que vous avez pu lire jusqu’à présent. L’auteur secoue le cocotier de la conformité d’une histoire avec un début, un milieu, une fin, et dégaine ses délires au lance-roquette comme on demande une baguette pas trop cuite chez son boulanger préféré. Ici, on ne peut même plus parler d’imagination (quoique), mais d’une écriture sous ecstasy matinée d’amphétamines avec un triple joint au dessert. Entre hystérie et zénitude. Et pourtant l’histoire ne paie pas de mine. Videur dans une boite de nuit de son état, Jeanne Mass s’engouffre dans une histoire à dormir debout du meurtre de son patron. L’enquête piétine sévèrement, là où les coupables ne seraient autres que des… ours roses tandis que la police tente de s’acharner sur le héros du livre. Un n’importe quoi machiavélique de drôlerie, où la manipulation des mots utilisés à la place d’autres peut perdre le lecteur dans les méandres du cerveau déjanté de l’auteur taquin. Arborant les invraisemblances en bandoulière, revendiquant un anachronisme malin, Thomas Lélu nous embarque dans son monde d’un heureux mélange des genres où les dessins animés de Tex Avery règneraient en maître. Les premières lignes du livre donne le ton : je m’appelle Jeanne Mass et je suis videur au Coconut Café. Mon groupe de musique préféré c’est les Gilles Deleuze et j’ai pas mal d’amis dans le show-biz. En ce moment, j’ai envie de faire l’amour avec des pigeons mais je n’ai pas les moyens alors je compense en matant des DVD. Forcément, avec un livre dédié à… Bob Marley.

dimanche 13 janvier 2008

"Sexe, mensonges & Hollywood" de Peter Biskind - Editions Le Cherche Midi

Avec son précédent livre, Le Nouvel Hollywood : Coppola, Lucas, Scorsese, Spielberg… La révolution d’une génération, Peter Biskind balançait la petite histoire de ceux qui aillaient devenir les maîtres d’œuvre d’un cinéma des années 70 en pleine mutation pour en devenir les touts puissants cadors. Avec ce nouveau livre, l’auteur s’attaque cette fois aux balbutiements et à la naissance chaotique du cinéma dit Indépendant de la fin des années 80. En 811 pages (811 !!), Biskind oscille entre les symboles de ce cinéma alors en devenir, le Sundance Festival fondé par l’acteur Robert Redford et la société de distribution fondée par les frères Weinstein devenue un monstre de la production américaine, Miramax.

Défilent alors les noms de ceux qui trustent parfois le box-office (Quentin Tarantino, Steven Soderbergh, Matt Damon, etc.) et de ceux qui vivent dans les coulisses du 7ème Art, arrière boutique souvent glauque où règnent mauvaise foi, ambition, démesure, coups bas, cabales et destructions. Souvent peu reluisants, ces portraits brutaux, nous emmènent à la découverte d’un Redford indécis et antipathique, à des années lumières de l’image qu’il véhicule, d’un Tarantino aux pétages de plombs surdimensionnés ou d’un Soderbergh à la ramasse. Mais ce livre est surtout l’histoire d’un fratrie à la conquête d’Hollywood : Bob et Harvey Weinstein. Avec une soif de revanche sans fin, les deux lascars vont s’affranchir des us et coutumes, des gentlemen agreement qui siéent à tous ces messieurs en costumes (très) bien coupés. Ils vont exploser la bienséance par leurs vociférations et par les traitements de choc dont ils affubleront leurs propres employés, leurs relations de travail, leurs concurrents et même les acteurs, actrices et réalisateurs qui auront le malheur de croiser leur route. Ils seront impitoyables, sans conscience, à même de détruire ou de pratiquer la politique de la terre brûlée pour que rien ne résiste à leur ambition de fous furieux de cinéma : devenir riche et incontournable dans le microcosme hollywoodien.

Pari réussi si l’on en croit Biskind qui décrit à force de détails l’ascension des deux frères. Et c’est peut-être, parfois, la faiblesse du livre qui au final ne tourne plus qu’en boucle : les frères Weinstein (souvent Harvey) qui hurlent, insultent, foudroient, arnaquent et s’excusent à coups de millions de dollars… De leur société de distribution à leur alliance contre nature avec la compagnie Disney, nous suivrons tout de même un pan entier du rêve américain où se côtoieront des films dont personne ne veux mais qu’ils porteront souvent à bout de bras : Pulp Fiction, Sex, Mensonges & Vidéo, Cinema Paradiso, Le Patient anglais, Shakespeare in love, Gang of New York, Will Hunting, Scream, Matrix, etc. Une petite partie de CV qui peut quand même laisser rêveur…