vendredi 21 mai 2010

"Sévère" de Régis Jauffret - Editions du Seuil


Le lecteur est prévenu d’entrée. Dans ce livre, je m’enfonce dans un crime. Je le visite, je le photographie, je le filme, je l’enregistre, je le mixe, je le falsifie. Je suis un romancier, je mens comme un meurtrier. Avec Sévère, Régis Jauffret revisite à sa façon un fait divers ayant défrayé la chronique en 2005 avec l’assassinat par balles à Genève du financier Edouard Stern par sa maitresse lors de jeux sado-masochistes.

L’auteur s’est donc mis dans la peau de cette femme, criminelle, pour raconter leur vie à deux, leur vie cachée sous les lambris des gens beaucoup trop fortunés pour elle. Romancée, l’action est un va et vient permanent entre l’histoire de leur relation chaotique et la fuite (loin) de cette femme après son crime, comme libérée d’un fardeau. Elle aime cet homme, mais elle le tue. Elle l’admire, mais il la traite comme une moins que rien. Hypnotisée, elle tente de se défaire souvent de son emprise sans jamais y parvenir.

Régis Jauffret s’approprie cette histoire avec la douleur nécessaire, cette touche souvent juste d’enfermement, ce sentiment d’étouffement qui caractérise une histoire d’amour destructrice. Car quoiqu’on en dise, s’en est sûrement une… Ce vertige poignant se heurte à la réalité. Avec ce choc frontal, l’auteur prend à bras le corps son roman avec la sobriété des mots, la justesse dans l’effondrement et la retenue dans le jugement, délivrant les implacables séquences qui mèneront à l’inéluctable. Sans se cacher derrière son petit doigt, il appréhende cette folie irrémédiable avec un regard paradoxalement clinique et très maitrisé. Sévère est un roman juste qui raconte l’injuste. Parfaitement.