vendredi 11 juillet 2008

"Entretiens avec Woody Allen" de Eric Lax - Editions Plon


Mon héritage ne m'importe pas, je l'ai déjà dit, et mieux : plutôt que de vivre dans le cœur des hommes, je préfère vivre dans mon appartement. Cela fait maintenant près de quarante ans qu'Eric Lax traque le réalisateur new yorko-new yorkais. A coups d'interviews, de rencontres impromptues, de discussions plus ou moins privées, le journaliste a collecté une somme faramineuse de matière qui fait aujourd'hui l'objet de ce livre. Scindé en huit parties, l'ouvrage décortique les manières du Maître dans un face à face fait de questions-réponses : de l'Idée, à l'Ecriture en passant par le Casting, les Tournages ou encore la Mise en scène, le Montage, la Musique et... la Carrière. On déambule ainsi dans des décennies de la filmographie d'un réalisateur majeur, à des années-lumières du star-system, de la gloire et des honneurs, phénomènes médiatiques qu'il rejette en bloc. Fausse modestie ou conscience exacerbée de sa petitesse comparée à un confrère qu'il vénère, Ingmar Bergman ?

On est loin, pourtant, du travail remarquable exercé en son temps par le réalisateur François Truffaut sur son collègue de chambrée Alfred Hitchcock. Un travail qui fascinait et passionnait par sa précision glaciale, film par film, dans un livre habilement (??) intitulé Hitchcock par Truffaut. Là, on assiste au contraire à une conversation où la chronologie est absente,malmenée pour mieux nous perdre et nous faire voyager au gré du vent de notre mémoire de cinéphile. On peut ainsi passer dans le même chapitre de Prends l'oseille et tire-toi, un de ses premiers films, à Scoop et même Le rêve de Cassandre, son dernier en date, sans coup férir... En s'attardant sur telle ou telle de ses oeuvres, Woody Allen en a généralement un souvenir imprécis... puisqu'il considère une fois le film réalisé et sorti en salle comme un objet du passé, révolu, sur lequel il est inutile de revenir. Dans ce contexte, Eric Lax a bien du mérite à tenter de tirer les vers du nez du réalisateur.

Au final, qu'apprend-t-on ? Que le Sieur Allen aime tourner à NY (sic), un peu à Londres, à Paris... Qu'il n'aime pas parler pendant les tournages au risque de passer pour un asocial (il choisit soigneusement ses acteurs, pourquoi devrait-il ensuite leur expliquer ce qu'ils savent déjà faire, justifie le réalisateur de Manhattan) ou qu'il préfère les moments où il conçoit et écrit ses histoires même s'il aurait tendance à vouloir regarder un match de basket à la télévision à la place... Rien de bien neuf sous le soleil Allenien, en somme. Pourtant, le charme de ce livre opère. Quelques anecdotes fourmillent et éclairent un peu plus sa façon de travailler. Insidieusement la petite voix reconnaissable entre toute du plus grand trouillard de la terre, nous initie, nous promène dans sa filmographie hors normes où se côtoient au mètre carré quantités de films miraculeux (Annie Hall, Zelig, Meurtre mystérieux à Manhattan, La rose pourpre du Caire, Crimes et délits, Hannah et ses soeurs, etc.) sur lesquels il consent à lever un coin de voile, tout de même.

Car même si les souvenirs sont parfois à la peine, Woody Allen transcende lui-même, sans concessions, les bémols qu'il attribue à ses films. Il nous convainc facilement, sans même le vouloir, sans trop en dire, que son cinéma et sa façon de l'appréhender n'appartiennent qu'à lui, loin des systèmes, loin des machines à faire des films à succès. En artisan. Entretiens avec Woody Allen a l'immense avantage de rassembler en une fois ce que dit partout le réalisateur depuis des années, et ce même si dans le livre on notera la présence à plusieurs reprises des mêmes questions accompagnant de fait... les mêmes réponses.

Woody Allen est un être à part qui fait des films à part, dont personne ne s'inspire, que personne ne copie. Le vieux Maître n'a pas de fils spirituel, pas de flambeau à transmettre. Une situation qui lui sied à ravir. Parce que presque maladivement, il s'ingénie à ne pas vouloir laisser de trace de son passage sur cette terre... Pourquoi les politiciens s'inquiètent-ils tant de leurs archives, de leurs bandes, de leur visage sur les timbres et les pièces de monnaie ? Quand dans une urne, c'est dur d'avoir l'air d'un président. Après lui le déluge en quelque sorte. Mais vive la pluie !


Chronique réalisée dans le cadre de l'opération Babelio Masse Critique

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Ce n'est peut-être pas un monument d'analyse cinéphilique, mais je t'envie quand même, car je l'avais également sélectionné pour Masse critique. Enfin, je vais me consoler avec ses nouvelles...

Anonyme a dit…

< Levraoueg : c'est pas de bol pour toi, c'était vraiment le seul livre qui m'avait vraiment tapé dans l'oeil (aïe !) pour cette nouvelle édition de Masse critique. Pardon pardon pardon pardon (pardon).

Anonyme a dit…

Ah... Woody ALLEN! J'adore ses films et ses nouvelles!